Les aspects psychologiques : répercussions et enjeux dans le parcours de vie (Conférence inter régionale APF)
jeudi 22 décembre 2011

« Les aspects psychologiques : répercussions et enjeux dans le parcours de vie » : Conférence inter régionale APF sur l’Infirmité Motrice Cérébrale (Chartres/Champhol) du 15 mai 2009.
Sarah Caillot - Psychologue, Réseau Breizh IMC (Bretagne)

Ci-dessous vous trouverez le texte de la conférence retranscrit.

Les aspects psychologiques de la paralysie cérébrale : répercussions et enjeux dans le parcours de vie

Sarah CAILLOT travaille dans un centre à Rennes. Elle est membre du réseau Breizh IMC de Bretagne qui a mis en place, depuis quelques années, des consultations spécialisées pour le suivi des adultes.

Fondements psychiques de la personne paralysée cérébrale

La situation de handicap modifiera toujours les modes et les normes de vie d’un individu. Ces modifications vont pouvoir amener des difficultés psychologiques importantes. Toutefois, il n’existe pas de psychopathologie spécifique à la paralysie cérébrale. La personne paralysée cérébrale est assujettie aux mêmes lois humaines, aux mêmes besoins, aux mêmes désirs.

La naissance

La psychologie parle souvent de la naissance comme d’un événement traumatique normal. Elle a produit un choc par rapport à la vie antérieure des parents, qui peut parfois dépasser leurs possibilités d’adaptation. Pour l’enfant aussi, c’est un choc soudain, une rupture qui induit parfois de la détresse, de l’effroi, un sentiment de solitude.

Quand un enfant paralysé cérébral naît, le traumatisme est double : au traumatisme normal de la naissance s’ajoute le choc traumatique du handicap. Les parents peuvent être atteints dans leur idéal parental, dans leurs projections imaginaires. Ce choc induira un travail de deuil de l’enfant idéal, accompagné souvent d’angoisses, de culpabilité, de remaniements psychiques profonds. La difficulté de ce travail de deuil peut parfois provoquer certains comportements défensifs avec une surprotection excessive et une agressivité latente voire un rejet.

La quête de réparation

L’enfant PC est en décalage par rapport au désir parental. Au cœur de la problématique existe ce désir de réparation qui mobilisera beaucoup d’énergie du côté de la personne handicapée mais aussi des parents. La problématique est parfois extrême et les médecins, la famille et tout l’entourage peuvent pousser ce désir jusqu’à envahir la vie psychique du système familial.

Une surcompensation du « moins » peut pousser à une recherche parfois sans limite de tout ce qui représente un « plus », avec une survalorisation de la performance. Il peut arriver que pendant des années des enfants soient placés en permanence devant des contraintes d’apprentissages moteurs et intellectuels.

Les espaces de liberté, de rêve, d’acceptation de soi sont indispensables au bien-être psychique, au sentiment de sécurité et d’assurance. Ils permettent la mise à distance de l’angoisse liée au sentiment d’être en échec par rapport à ce qui est attendu des autres.

Des deux côtés, enfant et parents, un long travail de réaménagement psychique va devoir se faire pour que l’enfant soit à nouveau porteur d’un désir parental qui le soutient dans son propre désir.
L’enfant paralysé cérébral va devoir trouver sa place, se reconnaître et s’affirmer dans sa famille, puis dans les groupes sociaux qu’il va rencontrer et qu’il va essayer d’intégrer.

Le rapport au corps est complexe pour la personne paralysée cérébrale. Il a un impact sur la construction de l’image du corps, la vie affective et sexuelle. Il aura à vivre « avec » mais aussi « contre » son corps. Le corps n’appartient plus au principe de plaisir mais est contrainte et aussi, souvent, souffrance en raison des douleurs, des regards portés sur lui, des limitations et des déformations.

Les personnes en consultations mentionnent souvent un vécu d’insécurité et d’angoisse lié à un sentiment de non-reconnaissance, à la culpabilité de ne pas coller à « l’idéal ». Le manque crucial de communication et un sentiment d’exclusion viendront nourrir cette angoisse. Un fonds d’anxiété, très important, trouve sa source dans le doute permanent sur les possibilités du corps. Le vécu de la motricité s’accompagne toujours d’un risque d’échec, d’un doute permanent sur les actes de la vie quotidienne et d’une panique devant l’imprévu.

Ce manque de confiance dans le corps est majoré par les suites d’opérations, les rééducations et appareillages divers, qui renforcent le sentiment de ne pas être dans la norme. Il en résulte une difficulté pour se construire une image positive de soi-même.

Construction d’identité et conquête de l’autonomie

L’autonomie, c’est pouvoir penser, juger par soi-même, se fixer ses propres valeurs, en se libérant de l’emprise parentale, de l’autre. Elle se développe avec les premières acquisitions du mouvement, de la motricité. Avec le langage, l’enfant va aussi se poser comme différent de l’autre en ayant le pouvoir de dire « non ». C’est aussi avoir une place dans sa famille, dans un groupe d’appartenance, d’avoir accès à un rôle social, être reconnu et se reconnaître comme sexué.

Comment cette notion d’autonomie va-telle pouvoir s’entendre quand la personne va devoir, sa vie durant, dépendre des autres pour se déplacer, pour atteindre un objet, pour satisfaire ses besoins, changer de position… ?

Elle a un statut ambigu, à la fois angoissante et tout autant source de plaisir, recherchée, car elle peut comporter des bénéfices secondaires.

L’autonomie est le fruit d’un désir propre du sujet. Est-ce qu’il se sent autorisé à désirer hors du désir parental ? Ce sentiment d’autonomie va être capital dans le développement de l’affirmation de soi et la construction identitaire.

« Je suis ce que je peux faire donc tout ce que je ne peux pas faire me renvoie à ce que je ne suis pas ».

Les contraintes vécues entravent la liberté, la capacité à se projeter dans l’imaginaire, dans un idéal. Le manque d’autonomie favorise l’illusion de la toute-puissance de l’autre, la proximité ne favorise pas la naissance du tiers nécessaire.

Fragilité de l’estime de soi

  • Bases de l’estime de soi : acquises dans l’enfance au sein d’un espace qui permet à l’enfant de côtoyer différents types communautaires : la famille, l’école, les associations.
  • Identifications successives à autrui.
  • Besoin d’être reconnu par autrui pour exister.
  • L’estime de soi va participer à la construction de l’identité.

Deux grands besoins sont indispensables à l’estime de soi :

  • Un besoin affectif : se sentir apprécié, aimé…
  • Un besoin de reconnaissance : se sentir compétent, performant…

L’estime de soi cherche à satisfaire ces deux grands besoins à travers différents domaines d’activités. S’estimer implique de s’évaluer mais aussi de s’aimer, indépendamment de nos performances, nos défauts, nos échecs.

L’équilibre psychologique est dépendant de ce regard que l’on porte sur soi

  • Un regard positif : permet de se sentir bien dans sa peau, de faire face aux difficultés et facilite le passage à l’action.
  • Un regard négatif entraîne un repli sur soi, des souffrances. Les personnes paralysées cérébrales manquent souvent d’estime de soi et de confiance en leur valeur personnelle.
  • Phénomènes de dépendance psychique,
  • Difficulté à faire et à exprimer des projets personnels, à s’éprouver dans la vie sociale, culturelle et professionnelle.

La relation à autrui

Il est possible de parler d’un « court-circuit » dans la relation :
  • Difficultés de langage, avec rupture de la fluidité de la communication. L’entourage devra faire un effort et l’interlocuteur deviendra parfois impatient, il n’écoutera plus et finira les phrases à la place de la personne. La personne peut avoir un vécu de dépossession de ses propos.
  • Difficultés motrices : instabilité motrice, les mouvements parasites bousculent les codes relationnels.
  • Le fauteuil roulant est une distance importante entre soi et l’autre. La différence entre une personne assise et debout amène à ressentir un décalage spatial. La personne se sentira mal à l’aise voire inférieure à son interlocuteur. Ce « court circuit » peut accentuer la dépendance et la mauvaise estime de soi.

La vie affective et sexuelle

Étude (2005) de F. Dauvergne (Réseau Breizh IMC) :

  • 14.7 % déclarent avoir un compagnon ou une compagne. La proportion est faible.
  • 6 % des personnes en couple sont en établissement. Ceci pose la question de la vie de couple. De gros efforts sont à faire, notamment dans la reconnaissance de la sexualité chez les personnes handicapées.
  • Il existe un manque important d’échanges, un ennui, un manque affectif, un besoin de partager ensemble un vécu.

Le besoin affectif est encore plus important en raison, souvent, d’un manque relationnel, de difficultés pour aller à la rencontre de l’autre : tabou et difficulté d’élaboration avec tendance à la banalisation voire à la négation.

Pourtant, ces questionnements sont quotidiens sur les manifestations légitimes du désir, mettant souvent en jeu le cadre familial ou institutionnel.

  • La priorité est d’accompagner par la parole.
  • Les mots mis sur les doutes, questions, peurs, manifestations physiques permettent de prendre de la distance et de calmer les angoisses rattachées à la relation affective à l’autre, à la sexualité.

Nécessité d’un travail difficile et lent de construction de soi, de son image, de son identité. Il s’agira de pouvoir :

  • S’approprier son histoire et se situer par rapport à elle.
  • Prendre de la distance avec le vécu corporel et psychique parfois envahissant.
  • Prendre conscience du vécu de l’autre dans la relation.
  • Élaborer quelque chose de sa différence et de sa dépendance.