Jusque dans les étoiles... (Faire Face, mars 2006)
jeudi 20 septembre 2007

Portrait d’Eric Le Flochmoën. Date : mars 2006 - Source : Magazine Faire Face de l’APF, n° 640 - Auteur : Chantal Béraud, journaliste

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Eric Le Flochmoën

En septembre 1998, Éric Le Flochmoën a été embauché au CNRS, en qualité d’ingénieur d’études. Infirme moteur cérébral, il signe un éblouissant parcours intellectuel. Portrait d’un homme volontaire, ardent sportif, qui aime aussi cultiver l’amitié et la solidarité internationale.

L’aérologie, vous connaissez ? Éric le Flochmoën, lui, n’en ignore rien. Il travaille en effet actuellement au sein du laboratoire du CNRS d’aérologie de Toulouse (Haute-Garonne). "Dès dix ans, je me suis passionné pour l’astronomie", explique-t-il. Mais ce petit garçon qui veut savoir comment fonctionnent les planètes souffre d’athétose depuis sa naissance : "Ma mère avait besoin d’une césarienne pour accoucher, qui a été effectuée trop tard. À cause du manque d’oxygène, des cellules motrices de mon cerveau sont mortes. Ma rééducation a commencé vers six mois : j’étais alors comme une poupée de chiffon. C’est peu à peu que j’ai réussi à reprendre de la mobilité : j’ai suivi un entraînement important jusqu’à vingt ans. Mes parents m’ont beaucoup encouragé : par exemple, ils ont refusé le fauteuil roulant, me poussant à me débrouiller avec un déambulateur." "J’ai toujours été très réaliste par rapport à mon handicap, poursuit Éric Le Flochmoën. Comme je ne pouvais pas être rentable dans un travail manuel, très vite, j’ai pensé à la recherche. Mais pour espérer y trouver un travail, il fallait que je pousse mes études le plus loin possible..." À partir de la seconde, le jeune homme fréquente le système scolaire ordinaire, au sein d’une classe de trente élèves. Comment se passe cette intégration ? "Bien. J’avais une dizaine d’amis qui copiaient les cours pour moi ou qui me donnaient des photocopies. Certes, personne n’était forcé de m’aider... Mais j’ai toujours été assez sociable, considérant que c’était autant à moi de faire l’effort d’aller vers les autres qu’aux autres de venir vers moi... Leurs regards du départ ne me dérangent pas : je suis différent physiquement, c’est normal qu’ils ne comprennent pas du premier coup. C’est à moi de leur expliquer les choses. Pour recevoir, il faut d’abord donner."Durant plusieurs années, Éric le Flochmoën a travaillé à l’Observatoire de Floirac, dans l’agglomération de Bordeaux, avant d’intégrer en septembre 2004 le laboratoire d’aérologie de Toulouse C’est ainsi qu’Éric Le Flochmoën poursuit son bonhomme de chemin... jusqu’à l’obtention d’un DEA en astronomie. Malgré ses difficultés d’élocution, il soutient à l’oral sa thèse de doctorat en astrophysique, sur le thème de l’atmosphère de Jupiter, surmontant ainsi les dernières réticences : "C’est seulement à ce moment-là que certaines personnes ont été convaincues qu’il s’agissait bien de mon propre travail !" Au final, le directeur de l’observatoire de Floirac (Gironde) va tout faire pour l’aider à y être embauché, le CNRS formulant une demande de création de poste correspondant à son profil. Cet excellent parcours intellectuel n’étonne guère Florian Vair-Piova (psychologue), l’un de ses amis d’enfance. "Éric est quelqu’un qui cherche à dépasser ses limites. Enfants, nous faisions même des galipettes dans les escaliers... Pourtant, je ne pense pas qu’il prenne vraiment de risques. Il se connaît bien, ne panique pas et n’a, au final, pas peur de grand-chose !" Témoins : ses prouesses sportives, en ski ou en tricycle, lors de sorties qui mélangent le plus souvent des personnes valides et en situation de handicap. Ce qui lui permet de cultiver à la fois le frisson, l’amitié et l’échange. "Si cela avait été possible, Éric aurait bien aimé être éducateur sportif, affirme Florian Vair-Piova. Un jour, il est venu me rejoindre alors que je m’occupais d’un groupe de jeunes, physiquement OK mais souffrant de gros problèmes d’insertion dans la société. Par peur du ridicule, ils ne voulaient pas faire d’escalade. Éric, lui, a tenté le coup, se râpant le bout des ongles, les genoux. Et, avec de l’aide, il est parvenu dix mètres plus haut ! Ça, c’est la logique d’Éric. Il dit parfois que les personnes handicapées ne sont pas forcément celles que l’on croit, que certains valides ont beaucoup de problèmes dans leur tête... Aujourd’hui, Éric a un boulot, un permis de conduire, une maison et il est quasiment autonome pour tout. Oui, c’est quelqu’un qui dégage quelque chose d’assez fort."

Voyages et solidarité internationale

Éric le Flochmoën fait partie de l’association “Via Brachy” (1) qui organise des chantiers de solidarité internationale en Afrique, composés de groupes mélangeant des personnes handicapées et un public souffrant de difficultés sociales. En 2003, il a ainsi pu visiter le Maroc à bord d’un 4x4, et a animé au Sénégal un atelier d’initiation à l’informatique. Avec son ami Florian Vair-Piova, il projette de renouveler l’expérience pour l’été 2006. "Nous voulons démontrer que les personnes handicapées peuvent voyager autrement, en quittant leur place d’assistées, et même en devenant actrices d’un projet de solidarité internationale. Dans le groupe, il y aura donc quelques personnes souffrant de problèmes moteurs depuis leur naissance mais aussi de récents accidentés de la route. De manière à créer un déclic qui leur donne envie de reprendre leur destin en main." Le voyage sera aussi l’occasion d’aider une association locale. "Le contact avec les Africains est naturel, alors que beaucoup de Français ne savent pas comment nous aborder, soutient Éric Le Flochmoën. Dans l’hexagone, nous sommes les champions des structures spécialisées pour handicapés : moi, je dis qu’il faudrait davantage favoriser l’intégration au sein de la société en général."

(1) Site Internet : http://viabrachy.org

Chantal Béraud, journaliste.