Kareen, une battante, une femme pleine de vie.
mardi 19 octobre 2010

Portrait de Kareen

- Je me présente
- Mon parcours scolaire
- Mon énergie, je la puise… auprès de ma famille
- Comment je vis mon handicap
- Mon passage en IEM
- La prise de conscience du handicap
- Être autonome
- Les troubles liés à ma pathologie et mes astuces pour les gérer
- Ma vie de couple
- Le handicap vécu par ma famille
- Les mots de la fin…

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Les mains de Kareen

Je me présente

« Je m’appelle Kareen, je suis une femme et j’ai 38 ans.
J’ai une IMC, je suis née à 6 mois et demi. Je suis blonde, mignonne, je porte des lunettes, j’ai de la joie de vivre et de la spontanéité (rires) !

Mon handicap, je ne le mets pas en avant car pour moi c’est quelque chose que j’ai en plus. Ce n’est pas ma priorité. Je suis d’abord une femme spontanée, et pleine de joie de vivre comme je le disais.
Bien sûr, à un moment je suis obligée de parler de mon handicap car j’ai des limites. Mais je suis avant tout une femme avec des qualités et des défauts. Je suis têtue et battante.
Oui, je suis battante même si parfois, on peut me faire redescendre vite à la réalité en me renvoyant le handicap en pleine figure ! Mais je remonte vite et je vis avec mon handicap.
Je me bats.
Voilà ! J’aime les gens, j’aime apprendre ».

Mon parcours scolaire

« J’ai un niveau scolaire CAP ESSAC (diplôme pour travailler dans l’administration dans les années 90). J’ai commencé à aller à l’école ordinaire de la maternelle au début du primaire. Puis je suis allée en école spécialisée car j’étais trop lente pour écrire, pour comprendre la gestuelle. J’ai fait une 6ème ordinaire car je tenais à la faire, mais j’ai eu de nombreuses opérations (de 3 ans à 25 ans) qui m’ont un peu freinée. Mais surtout, je n’avais pas d’AVS (Auxiliaire de vie scolaire). À l’époque, si on n’arrivait pas à suivre, on vous mettait au fond de la classe. Je pense que j’aurai pu suivre le primaire en milieu ordinaire avec une AVS. Tout comme la 6ème, si j’avais réussi à faire le primaire correctement, j’aurais eu des bases et j’aurai peut être pu suivre une 6ème avec AVS. Après je suis partie en école spécialisée de 1986 à 1990 à l’IEM (Institut d’éducation motrice) de Chevalon de Voreppe dans l’Isère.

Les difficultés que j’ai rencontrées à l’école étaient surtout dues à ma lenteur pour écrire. Ensuite aux déplacements car j’ai eu mon fauteuil manuel très tard, seulement à mes 20 ans. Avant, je me déplaçais aux bras de ma maman ».

Mon énergie, je la puise… auprès de ma famille

« Ce qui m’a aidé, c’est que j’ai eu une vie particulière. Mon papa est décédé quand j’étais jeune à 10 ans.
Ma maman était une battante, elle m’a énormément poussée.
Mon grand-père m’a énormément aidé également.
J’ai rencontré des gens qui m’ont beaucoup « boosté ». J’ai donc été une battante mais j’ai été bien entourée. Autre chose qui m’a énormément aidé, c’est qu’à 15 ans, j’ai eu un frère, valide. J’ai été une grande sœur. Nos relations étaient très bonnes, je ne le voyais pas comme un rival, je n’étais pas jalouse. Au contraire, j’ai fait beaucoup de choses grâce à lui. Pour lui, je suis sa sœur. D’ailleurs il ne dit jamais qu’il a une sœur handicapée. Je suis très protectrice de mon petit frère. Ça a été un véritable bonheur quand il est arrivé dans une famille recomposée. Cela n’a jamais posé de problème pour moi, contrairement à d’autres personnes qui ont un handicap et qui, je sais, ressentent des sentiments de jalousie à l’égard de leur frère ou de leur sœur valide. »

Comment je vis mon handicap

« Je vis avec mon handicap mais je me considère plutôt comme une personne valide. Même si je suis consciente de mes limites que j’accepte comme ma fatigabilité, ma dépendance, par exemple.
Je me dis clairement que j’ai besoin de quelqu’un pour me laver, me déplacer, pour mes problèmes de repérage dans l’espace. Je connais mes limites et je les accepte.

Mais cela n’a pas toujours été ainsi ! J’ai mis de l’eau dans mon vin car jeune je n’écoutais pas mon corps. Je repoussai mes limites. En fait, je ne voulais pas les entendre, les écouter. Mais j’ai appris à les connaître. Je me dis que j’ai besoin d’une personne pour m’aider mais que ce n’est pas une honte. Je sais que je vais mettre plus de temps que quelqu’un d’autre. Je sais que ça va aller en diminuant, que mon corps a de plus en plus de mal à bouger mais je l’accepte. Au fur et à mesure des années, j’ai senti que cela a bougé, même si l’IMC n’est pas un handicap évolutif.

Au niveau intellectuel, c’est différent. Au fil des années, j’ai le sentiment de m’enrichir de plus en plus et c’est génial. Je pense que c’est grâce à la vie associative qui m’a réellement permis de m’enrichir au niveau intellectuel, à m’aider à renforcer ma confiance en moi, à apprendre. J’aime apprendre pour m’enrichir humainement. Je sais que je suis capable et que j’ai encore plein de choses à accomplir.

Ce qui est intéressant aussi pour moi, c’est d’avoir une représentation de moi, en tant que femme surtout. Une femme séduisante, qui veut s’habiller avec soin, tout en couleurs. Pour moi, il est primordial de s’aimer. Il faut aussi pour cela aimer son corps. A partir du moment où on accepte son corps de femme avec ses différences, cela n’empêche pas de s’habiller joliment, d’essayer de plaire. L’essentiel c’est d’être bien dans sa peau et surtout dans sa tête.

Si on ne va pas bien, je pense qu’il est important de se faire aider par quelqu’un d’extérieur même si sa famille est géniale. A certains moments de ma vie, j’ai consulté un psychologue, ça m’a fait du bien. On dit souvent qu’on ne va pas voir un psy parce qu’on n’est pas fou. Moi, j’ai consulté à une période de ma vie où ça été très dur, d’ailleurs pas forcément en lien avec mon handicap. Cela m’a permis d’évacuer le problème mais aussi d’évacuer ce que je gardais au fond de moi. Car j’étais quelqu’un de teigneux, je disais que ça allait bien tout le temps… Alors que ce n’était pas toujours vrai.

A l’adolescence, j’avais déjà un caractère fort. Mon handicap me l’a sûrement renforcé, car mine de rien, il faut se battre tout le temps. Il faut tout le temps faire ses preuves. Par exemple, dans le handicap moteur, on pense aussi qu’il y a un handicap mental. Dès l’enfance, il faut être battant pour s’en sortir. Mais je n’ai pas du tout de haine. On ne voit la personne en situation de handicap qu’à travers son handicap. J’aimerais qu’on voie la personne en situation de handicap dans son ensemble et pas que seulement son fauteuil roulant. L’humain qui ne rentre pas dans les limites, dans le cadre, on le regarde différemment ».

Mon passage en IEM

« Quand je suis rentrée à l’IEM, j’avais 15 ans et demi, je n’avais jamais quitté ma famille. C’était un internat et donc la première véritable coupure avec ma famille. Il y avait toute une équipe d’éducateurs et de psychologues qui aidaient les jeunes dans leur devenir et leurs questionnements. Pour moi, il y a eu un professionnel qui m’a vraiment aidé.
Je me posais un tas de questions : est-ce que je vais aimer quelqu’un, avoir un vie sexuelle, un enfant ? Est-ce que je vais être désirable pour quelqu’un ? J’avais une copine avec qui je pouvais échanger, mais on avait chacune notre propre questionnement. A cette époque je marchais, plus que maintenant. Mais mon déhanchement me gênait, je ne le trouvais pas féminin. En plus, à l’époque, j’avais un surpoids. Les magazines font du mal aux valides, mais aussi aux personnes qui ont un handicap.

A l’adolescence, j’ai vécu une sorte de coupure avec mes amis valides, à une période de ma vie où, comme beaucoup de personnes handicapées de naissance, on commence à réaliser qu’on a un handicap. On n’arrive plus à suivre. Là, il a fallu qu’on trouve quelque chose de plus adapté à ma situation. C’est comme cela que je suis arrivée à l’IEM. J’y ai fait mon adolescence.

Je me souviens que le premier week-end à l’IEM, on n’avait pas le droit à rentrer à la maison. Ce week-end là, on a fait de la voile. Un autre week-end, on a pris le car qui nous a amené sur une place de la ville. On nous a donné à tous un petit papier avec un plan pour aller à un endroit précis. Il fallait qu’on retrouve seul notre chemin. Moi je devais me rendre dans une boulangerie. Mais avec mes problèmes spatio-temporels, je me suis perdue. Je suis arrivée dans une autre boulangerie et j’ai mangé mon pain au chocolat, tout en reniflant. Mais on m’a tapé sur l’épaule en me disant « ne t’inquiète pas, je suis là ». Un éducateur m’avait suivi de loin tout le long du chemin. »

La prise de conscience du handicap

« Quand j’étais petite, je n’ai pas le souvenir de m’être posé beaucoup de questions sur mon handicap. Je savais que j’étais née à 6 mois et demi et que j’étais née trop tôt ; en gros, je pensais que je ne marchais pas parce que j’étais sortie trop tôt du ventre de ma mère. Je n’avais pas de souffrances, pas de questions. En gros, j’avais ce corps et c’est tout. Je ne cherchais pas à marcher toute seule, j’avais maman qui me tenait.
Je me rends compte que j’étais dans l’irréel car malgré mon handicap, je ne pouvais pas m’empêcher de croire à tout ce que je voulais. Je voulais devenir Assistante Sociale ou avocate. Si j’avais eu les capacités de le faire, je l’aurais d’ailleurs fait.
Quand j’étais adolescente, j’ai posé des questions sur mon handicap. Mais surtout, ce que je voulais savoir, c’est si je pouvais avoir des relations sexuelles comme tout le monde. Les questions plus intimes, je ne les posais pas vraiment. Peut-être à mon grand père paternel et à mon oncle. C’était des hommes qui ont beaucoup compté dans ma vie. Certainement car il me manquait le père que je n’avais plus.

A l’IEM, on nous apprenait à être autonome, indépendamment du cursus scolaire. On avait aussi une prise en charge psychologique et médicale. C’est à ce moment là, que j’ai appris mon diagnostic. J’ai demandé au médecin spécialisé qu’il me dise réellement ce que j’avais. Ma mère et mon beau-père étaient là eux aussi. Il m’a dit ce que j’avais réellement, avec mes symptômes associés. Et c’est là que j’ai appris que pendant toutes ces années où on m’avait embêtée avec de la géométrie, ce n’était pas la peine ! Qu’en raison de ma pathologie, il y avait des choses que je ne pouvais pas réaliser ».

Être autonome

« Je marchais au bras de ma maman et éventuellement avec une canne de l’autre coté, jusqu’à 16 ans. Dans la maison, je m’appuyais sur les meubles pour marcher seule. A partir de 16 ans, j’ai eu un déambulateur. J’étais déjà plus autonome.
C’est la naissance de mon petit frère qui a déclenché pas mal de choses : je voulais jouer avec lui, l’accompagner, donc ça a été un moyen supplémentaire pour me booster. A 20 ans, surtout grâce à la kiné de l’époque, j’ai accepté d’avoir un fauteuil roulant. Je me rappelle qu’au tout début, je n’en voulais pas de ce fauteuil roulant. Il restait dans un coin de ma chambre car je me disais que si je le prenais, je ne marcherais plus et que je serai vraiment handicapée… Alors que le déambulateur ne me faisait pas le même effet.

Le meilleur souvenir que j’ai de cette époque là, c’est lorsque je suis partie à la mer avec mon ami. Il m’a dit : « je mets le fauteuil dans le coffre de la voiture mais on ne le prendra pas ». J’ai marché avec ma canne en le tenant par le bras. A un moment, je lui ai dit : « C’est bon, je suis fatiguée, on arrête ». Il m’a alors proposé de prendre le fauteuil, il m’a dit qu’il me pousserait, que je resterai assise tranquillement. J’ai accepté à ce moment là, j’ai pu alors voir le coucher de soleil jusqu’au bout pour la première fois ».

Les troubles liés à ma pathologie et mes astuces pour les gérer

« Je porte aujourd’hui un corset depuis un an. J’avais énormément mal au dos en raison d’une scoliose importante, une cyphose. Ce corset porte mon nom car c’est le premier corset particulièrement adapté à mon type de situation qu’on ait fabriqué, il s’adapte à mes troubles associés (auto sondage).

Au niveau des troubles cognitifs, je souffre de troubles spatio-temporels. J’ai des troubles associés particuliers, en plus des troubles cognitifs : fatigabilité importante (c’est comme si on m’absorbait de l’intérieur), troubles urinaires (auto sondage).

Cette fatigabilité est difficile à faire comprendre aux personnes qui m’entourent y compris certaines personnes en situation de handicap. En général, elle arrive vite et sans prévenir. La seule solution, c’est de me reposer. Je la gère en me couchant plus tôt ou en faisant des grasses matinées. J’étale aussi mes occupations. Je connais mon corps et c’est ce qui me permet de vivre ma vie à fond, et d’éviter de trop tirer et de faire l’autruche. Depuis quelques temps, j’ai des douleurs : au niveau des genoux, des membres inférieurs, du dos, des jambes. J’ai des douleurs articulaires surtout. C’est important donc de m’écouter. Pour les douleurs, je prends du paracétamol, de l’homéopathie, des douches chaudes.

J’ai fait du yoga pendant 4 ans parce que j’avais envie de trouver quelque chose qui me détende au niveau de mes contractures. Ensuite, j’ai adopté moi-même des postures, au début avec l’aide d’un prof de yoga puis toute seule. Cela me permettait d’évacuer le ras-le-bol. Il y a des jours où je me dis « j’en veux plus », où le handicap pèse, me gonfle, mais je ne le dis pas, sauf à mon compagnon. C’est les jours sans. C’est, je pense, comme pour tout le monde, il y a des jours où on en a plein les baskets. Mais on repart. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de faire du yoga ».

Ma vie de couple

« Aujourd’hui, j’ai un compagnon depuis 16 ans. Nous ne vivons pas ensemble car je ne voudrais surtout pas qu’il devienne ma tierce personne. Mais aussi, parce que je veux garder ma liberté. J’ai très peur du quotidien, de la monotonie. Je pense que cela peut devenir problématique au bout de quelque temps, car lorsqu’on vit ensemble, un compagnon peut vite devenir une tierce personne. J’ai peur qu’il n’y ait plus de complicité, d’amour. J’ai vu beaucoup de couples dont le compagnon finit par n’être que la tierce personne. Ça, je ne le veux pas.
Garder cet instinct, cette limite à ne pas dépasser, c’est très important pour moi. Je vois énormément de couples qui fonctionnent ainsi et c’est dommage. Pour notre couple, le fait de garder chacun son appartement, c’est aussi garder une porte de secours. Nous avons trouvé un équilibre ainsi, nous parlons beaucoup, nous sommes très complices, on a de bons moments.
Je pense que c’est ce qui fait que cela tient. Il me connaît bien. Il connaît mes difficultés.
Lui aussi peut être fatigué, c’est le cas des deux cotés. Je remarque souvent que dans les couples, les personnes en situation de handicap oublient facilement la personne valide. On ne pense plus à lui demander si elle aussi est fatiguée, si elle n’en a pas marre, ce qu’elle vit... ».

Le handicap vécu par ma famille

« Ma mère n’a jamais accepté mon handicap, je le sais, même si elle me dit que non. Je crois qu’elle souffre énormément de m’avoir mis au monde avec ce handicap mais surtout, ce qui lui fait mal, c’est le regard des autres. Alors que mon frère, il le vit tel quel depuis sa naissance.
Je pense que les parents culpabilisent beaucoup, mais moi je n’en veux pas à ma mère.
Je m’en suis vachement bien sorti. Je connais des personnes qui en veulent à leurs parents. Notamment parce qu’ils ont eu d’autres enfants qui ne sont pas handicapés et qu’eux, le sont ».

Les mots de la fin…

« Aujourd’hui j’ai mûri. Depuis mes 25 ans, je me sens bien. Il y a eu des paliers, certes. Mais je n’ai jamais larmoyé sur moi-même. J’ai toujours eu la pêche.
J’ai été un moment conseillère municipale. Pour moi, c’est important de m’investir dans la citoyenneté, je veux être une personne à part entière, avec mes différences. Et mordre dans la vie à pleines dents ».

Kareen.