Troubles de l’apprentissage (Conférence inter régionale APF)
jeudi 22 décembre 2011

Troubles de l’apprentissage : Journée régionale APF sur l’Infirmité Motrice Cérébrale (Chartres/Champhol) du 15 mai 2009.

Intervention d’Antoine ARENTS, Neuropsychologue, Centre de soins, lycée EREA Toulouse Lautrec (Vaucresson)

Ci-dessous vous trouverez le texte de la conférence retranscrit.

Troubles de l’apprentissage

Antoine ARENTS est neuropsychologue dans plusieurs établissements à Paris et en région parisienne. Il s’occupe de personnes ayant une infirmité motrice cérébrale qui sont, pour les plus vieux, au lycée. La majorité se trouve en école primaire et au collège. Son intervention porte donc essentiellement sur le domaine scolaire. Néanmoins, les difficultés cognitives perdurent et se manifestent dans toutes les activités qui se mettront en place par la suite au niveau professionnel.

40 à 60 % des personnes avec IMC au sens large connaissent des troubles de l’apprentissage. Ces troubles varient selon la forme de l’infirmité motrice cérébrale. Tous les IMC n’ont pas les mêmes troubles d’apprentissage, ni la même sévérité de ces troubles. Des troubles modérés se manifestent dans la moitié des cas et des troubles beaucoup plus sévères touchent une minorité de personnes IMC.

Ces troubles de l’apprentissage portent sur la lecture, l’écriture et les mathématiques. Ils concernent en premier lieu l’écriture, en raison des troubles du graphisme dus aux difficultés motrices ou praxiques des IMC.

Les troubles des apprentissages sont très variés :

  • Pour les mathématiques, on observe régulièrement des dyscalculies spatiales. Elles se traduisent par des difficultés à des degrés divers, dans le traitement du nombre en code arabe, dans le subitizing, le dénombrement, l’agencement spatial des opérations ou la réalisation de figures en géométrie.
  • Pour la lecture, par exemple, une hémiplégie droite avec des lésions dans les aires du langage ne produira pas nécessairement les mêmes troubles que chez un IMC d’une autre forme avec des lésions plus postérieures, qui aura plus souvent des troubles visuo-spatiaux et oculomoteurs.
    L’origine des troubles de l’apprentissage n’est pas seulement liée à des lésions cérébrales. Certains facteurs qui se manifestent auprès d’autres handicaps peuvent également toucher les IMC. Nous savons en particuliers, qu’en raison des rééducations intensives ou des opérations chirurgicales, les IMC ne bénéficient pas de la même scolarité que les autres. Même si des compensations sont mises en place, l’absentéisme scolaire peut avoir des conséquences dans l’apprentissage, indépendamment des troubles cognitifs.

Les douleurs et la fatigue rendent aussi difficile la disponibilité pour les apprentissages. Elles peuvent résulter des efforts nécessaires pour le maintien postural. Il y a aussi les trajets parfois important de certains jeunes, qui les obligent à se lever très tôt, avec des rythmes que de nombreuses personnes sans IMC auraient du mal à supporter.

D’autres facteurs ayant des répercussions dans les apprentissages concernent près de la moitié des personnes atteintes d’une paralysie cérébrale :

  • Des formes variées d’épilepsie, avec divers degrés de sévérité.
  • Le retard mental, qui est présent pour 30 à 50 % des cas. La notion de retard mental est habituellement considérée en se basant sur le Quotient Intellectuel Total (QIT). Toutefois, pour les personnes IMC, la notion de QIT a peu de sens car bien souvent il y a un écart trop important entre les indices qui composent le QIT. Il y a en particulier régulièrement une différence de 15 à 20 points entre l’Indice de Compréhension Verbale (ICV) et l’Indice de Raisonnement Perceptif (IRP), en défaveur de ce dernier. En principe, le QIT ne devrait pas être calculé dans la majorité des cas. Il est davantage approprié, d’établir une éventuel retard mental à partir du meilleur potentiel de la personne IMC, qui généralement s’exprime au travers des compétences verbales évaluées par l’Indice de Compréhension Verbale (ICV).

Même sans être dans le registre du retard mental, un décalage modéré de l’efficience intellectuelle verbale peut avoir des répercussions dans certains apprentissages, et mener vers un échec scolaire malgré une bonne intelligence pratique et une adaptation sociale tout à fait normale. C’est notamment au niveau du collège où les notions abordées deviennent plus complexes, que certaines difficultés de synthèse et d’accès à l’abstraction peuvent être particulièrement pénalisantes. C’est également à ce niveau de leur cursus scolaire que certains IMC peuvent être pénalisés par une certaine lenteur idéatoire ou des difficultés attentionnelles qui sont souvent incompatibles avec le rythme attendu des apprentissages.

Par ailleurs, les troubles sensori-moteurs restreignent l’accès à certaines expériences qui sont considérées comme fondamentales pour les futurs apprentissages. Des études ont formulé l’hypothèse par exemple, que les troubles moteurs, praxiques et oculomoteurs pouvaient avoir des répercussions dans le dénombrement et ultérieurement conduire à une incapacité à se construire une représentation du nombre.

Les facteurs psychologiques ont également une grande influence dans la disponibilité envers les apprentissages scolaires. Il est fréquent de rencontrer une lassitude de la part des personnes IMC après des années de rééducation et une démotivation pour certains apprentissages qui requièrent souvent beaucoup d’efforts, qui ne sont pas toujours récompensés. Le parcours rééducatif, scolaire et personnel des IMC est jalonné de renoncements parfois douloureux qui fragilisent l’estime de soi.

Lorsque l’on souhaite apporter un éclairage face aux difficultés d’apprentissage, il est essentiel d’essayer de distinguer ce qui relève des facteurs psychologiques ou bien de troubles neuropsychologiques. Rappelons que la neuropsychologie est une spécialité de la psychologie qui consiste à établir des liens entre d’une part, le fonctionnement de certaines régions du cerveau et d’autre part, le comportement et les fonctions cognitives.
L’entretien avec la famille et la personne IMC, l’analyse des bilans réalisés par les différents intervenants (orthophoniste, ergothérapeute, psychomotricien, orthoptiste, enseignants) vont permettre de mieux cerner la nature des difficultés.
Ensuite, lors du bilan neuropsychologique qui se déroule sur 4 à 5 heures réparties en plusieurs rencontres, de nombreux tests seront proposés. Ils auront une importance pour distinguer entre un retard global avec un décalage manifeste dans la plupart des domaines : mémoire, attention, langage, raisonnement, fonctions exécutives plus ou moins important mais homogène et un trouble spécifique, avec un décalage important mais ciblé, par exemple un trouble de l’organisation spatiale ou de l’accès au lexique, alors les autres fonctions cognitives sont mieux préservées.
Dans ce dernier cas, bien souvent, la personne IMC a une efficience intellectuelle verbale dans la norme de son âge, mais elle a des troubles spécifiques liés à une lésion cérébrale. Certains de ces troubles sont bien connus chez les IMC, comme la dyspraxie visuospatiale et d’autres le sont moins mais peuvent pourtant avoir des répercussions très importantes dans l’adaptation professionnelle et sociale ou dans les apprentissages scolaires. Ce sont en particulier, les troubles de l’attention et des fonctions exécutives, et les difficultés mnésiques.

Pendant longtemps, les bilans proposés par les psychologues s’appuyaient sur les seules échelles de Wechsler, pour estimer l’efficience intellectuelle des IMC, grâce au QI verbal et au QI de performance.
Ces tests permettent de donner un point de vue global des capacités de la personne mais ne permettent pas de cerner l’origine de ses difficultés ni d’identifier des troubles cognitifs plus fins.

  • Par exemple, si un enfant se plaint d’une difficulté de mémoire, il est possible de mettre en évidence le trouble de mémoire mais ce fait n’en donne pas la cause. Un trouble de la mémoire peut être en réalité une conséquence d’un trouble de l’attention. La personne ayant une difficulté d’attention ne peut pas mémoriser une information dans un moment où elle n’est pas attentive. Dans les circonstances où elle peut être attentive, elle mémorise très bien. Ce problème sera complexe pour la personne et son entourage qui auront du mal à interpréter la fluctuation des problèmes de mémoire.
  • Une seconde explication possible de ces troubles mnésiques peut concerner d’éventuelles difficultés dans le raisonnement complexe. Il sera difficile de mémoriser un cours si la compréhension de toutes les notions abordées fait défaut. Ce problème n’est pas lié à la mémoire mais à la compréhension fine.
  • Une autre difficulté concerne les fonctions exécutives, soit la capacité d’organiser ses connaissances et de mobiliser des stratégies pour les organiser, les stocker dans la mémoire et aller les récupérer. Les conséquences dans l’apprentissage porteront sur les questions ouvertes, les questions de philosophie, d’histoire et géographie, où une question générale trouvera difficilement réponse chez les personnes IMC. Les questions à choix multiple obtiendront des performances bien meilleures. Les informations ont été bien comprises mais l’accès aux connaissances peut poser problème.

Il convient de bien distinguer les formes d’infirmité motrice cérébrale lorsque l’on souhaite étudier leurs profils neuropsychologiques. Il y a bien sûr une grande hétérogénéité des profils, y compris au sein d’une même forme d’IMC. Ces différences sont en partie liées à la localisation et l’étendue des lésions cérébrales.

  • Un IMC ayant des dyskinésies, un IMC athétosique par exemple, aura généralement sur le plan cognitif d’excellentes capacités. Certains font de brillantes études universitaires. Ils ont des particularités sur le plan neuropsychologiques qui sont bien différentes notamment des IMC anciens prématurées. Ces derniers ont des lésions très spécifiques, qui sont responsables du tableau de dyspraxie visuo-spatiale, alors que leurs compétences verbales sont souvent mieux préservées et même parfois excellentes.
  • Les hémiplégies droite et gauche ne donnent pas le même profil sur le plan cognitif.
  • Les IMC ataxiques, avec des lésions au niveau du cervelet, ont des profils très variables.

L’intervenant présente une « vue d’avion » du cerveau (coupe axiale). Il montre des lésions typiques et fréquentes chez les IMC anciens prématurés : les leucomalacies périventriculaires. Elles sont responsables du tableau de la dyspraxie visuospatiale. Elles se trouvent dans les régions arrière du cerveau, le cortex pariétal postérieur. Le cortex pariétal droit est très impliqué dans les relations spatiales et les gestes visuoguidés.
La partie gauche, en tout cas chez l’adulte, est plus impliquée dans les praxies, notamment gestuelles. Chez l’enfant et chez l’IMC, cette répartition est plus bilatérale. Néanmoins, il est connu que ces régions postérieures engendreront ce trouble visuo-spatial responsable des difficultés en géométrie et dans la lecture de tableau à double entrée.
Pour beaucoup de personnes IMC, il est particulièrement invalidant et malheureusement incompris par l’entourage.

La dyspraxie (acquises) gestuelle se caractérise par incapacité à programmer et à automatiser un geste finalisé. Elle engendre des difficultés dans l’habillage, le maniement d’outils, et surtout le graphisme. L’acte d’écriture demande de programmer un geste, de l’organiser dans l’espace et d’avoir une bonne motricité. Les personnes perturbées sur ces trois aspects présentent une dysgraphie.

L’intervenant présente un exemple de dyspraxie visio-constructive ou difficulté à assembler des éléments d’une figure en un tout. L’enfant pouvait désigner les parties de la figure mais il lui manquait la capacité à les mettre ensemble. Cette difficulté est liée le plus souvent à une lésion du cortex pariétal postérieur.

Tous les facteurs impliqués dans les difficultés d’apprentissage doivent être analysés en détail. Cette analyse permettra de proposer de ré-entraîner la fonction si possible ou de mettre en place des compensations en identifiant les ressources de la personne IMC.

L’attention

Il existe de nombreuses formes d’attention :
  • Pouvoir écouter un interlocuteur en faisant abstraction de ce qui se passe autour, on mobilise l’attention sélective. Lorsqu’elle est perturbée, le symptôme principal est une grande distractivité.
  • La capacité à maintenir son attention sur une période prolongée, se nomme l’attention soutenue ou continue. Quand elle dysfonctionne, cela se traduit par une grande fatigabilité. La personne semble alors parfois « dans la Lune » Et les pauses sont indispensables.
  • L’attention divisée concerne quant à elle, la possibilité de partager les ressources attentionnelles entre plusieurs informations présentes dans l’environnement au même moment. Par exemple, pouvoir écouter un cours et prendre des notes. Dans le cas des IMC qui présentent une dyspraxie visuo-spatiale, le graphisme est une tâche si complexe, qu’elle mobilise presque l’ensemble des ressources attentionnelles disponibles. Il sera par conséquent particulièrement délicat pour ces personnes de se concentrer en même temps sur la compréhension d’un cours.

La conséquence principale des troubles attentionnelles est que les informations seront encodées (mémorisées) de façon partielle.

La mémoire de travail

C’est une mémoire à court terme. Elle permet de retenir une information pendant quelques secondes et de l’associer mentalement avec des éléments déjà connus, ou de traiter l’information. Les difficultés de mémoire de travail engendrent des difficultés dans la compréhension de textes, le raisonnement, le calcul mental, l’intégration des consignes, ou l’acquisition du vocabulaire.

Les fonctions exécutives

Elles concernent la planification d’une tâche, l’adaptation à un changement (flexibilité), l’inhibition d’un automatisme, la mise en place de stratégies, la vérification du résultat obtenu en fonction du but initial. Les fonctions exécutives sont également impliquées dans la régulation de nos comportements, la conscience que nous avons de nous-même.

Les recommandations issues du bilan neuropsychologique viendront enrichir le travail pluridisciplinaire. Dans le contexte de troubles spécifiques, les prises en charges s’efforceront soit d’entraîner de façon ciblée les fonctions cognitives perturbées, soit lorsque la sévérité de ces derniers est trop importante, de proposer des aides palliatives et de s’appuyer sur les fonctions cognitives préservées. Dans le cadre d’un retard global, il s’agira de cibler ce qui permet d’obtenir la meilleure autonomie possible et d’orienter vers des activités pédagoéducatives plutôt que strictement scolaires. Enfin, la restitution des conclusions du bilan neuropsychologique est une rencontre clinique auprès de la personne IMC et de sa famille. Elle permet de mettre des mots sur des difficultés mal comprises, souvent vécues douloureusement, et parfois source de confits avec l’entourage.