Des mots qui libèrent, Faire Face (mai 2007)
lundi 20 décembre 2010

Article de notre magazine supplément Faire Face IMC N°1 mai 2007
Source : APF.

Des mots qui libèrent

Mettre en mots les émotions du moment ; apprendre à dire non ; s’approprier son corps ; parfaire l’image de soi… pour savoir qui l’on est. Nécessaire, mais pas toujours facile, lorsqu’on est atteint d’une infirmité motrice cérébrale. Les groupes de parole sur la vie affective et sexuelle s’avèrent être un bon moyen d’atteindre ces objectifs.

« Une fille, ça t’aide à voir la lumière là où tu es aveugle. Elle arrive, et poum, tu comprends tout de suite. L’image que j’ai, c’est ça : une femme, des gosses, une grande baraque et tout le bordel… Je veux dire tout ce qu’il faut pour aider. » Voilà ce que répond Nathan(1) à Stéphanie Ridel, formatrice et animatrice de groupes de parole, un après-midi de février à la question de savoir ce que peut lui apporter une fille, thème qu’il a lui-même choisi d’aborder ce jour-là. Comme les autres jeunes adultes (dont certains communiquent à l’aide d’une synthèse vocale) participant à ce groupe de parole sur la vie affective et sexuelle qui se réunit au centre héliomarin de Plérin (Côtes d’Armor), un mercredi par mois, pendant 1h30, Nathan peut, ce jour, dans une salle de classe un peu à l’écart du bâtiment, exprimer ses émotions, dire la façon dont il envisage l’avenir, expliquer l’image qu’il a de lui-même. Le tour de table se poursuit. Nathalie, elle, parle de la douleur que lui cause le décès de sa maman, un an plus tôt tandis qu’Élise confie que lors d’une soirée où elle était invitée, elle était sûre que personne ne viendrait lui parler, à cause de son fauteuil. Exercices de symbolisation « Je ne décide de rien, explique Stéphanie Ridel, qui intervient dans plusieurs établissements du département. Je suis là pour accompagner la parole et les émotions, pour permettre à chacun de prendre son tour. Mon travail consiste aussi à reformuler ce qu’ils disent et à les rassurer si besoin. » Cela passe bien sûr par la parole : Nathalie se voit rappeler qu’il est normal d’avoir du chagrin suite à la perte d’un être cher. Mais l’intervention de l’animatrice consiste aussi à la réalisation d’exercices de symbolisation. Ainsi Charles se voit-il chargé d’un fardeau concret sur les épaules pour symboliser ce qu’il a exprimé : il a ses parents « sur le dos ». Compléter la parole par une matérialisation même symbolique s’avère d’autant plus utile, souligne Véronique Gendry, psychologue, à l’Esvad(2) APF d’Ille-et-Vilaine qui suit, elle, des adultes, que « souvent, chez les personnes IMC, il y a un écart entre le discours et la capacité de synthétiser, entre ce qu’ils disent et ce qu’ils peuvent réellement synthétiser. Cet écart est difficile à évaluer, et il est très variable, de surcroît, d’une personne à l’autre, mais même aussi selon le sujet abordé ou la fatigue du jour par exemple. »

Démystifier

Toutefois, mettre des mots sur le ressenti apparaît très bénéfique. D’abord, loin de renforcer les frustrations, la parole « désamorce les fantasmes », explique Stéphanie Ridel. Ensuite, cela permet de sortir d’une immaturité parfois chronique chez des adolescents et jeunes adultes IMC, très protégés par l’institution et par la cellule familiale : « Si on ne les aide pas à grandir, la question de la sexualité reste en friches, mais le désir, lui, est déjà bien là et si on ne l’écoute pas, il pourrait mener à des conduites à risque », pointe la jeune animatrice, elle-même IMC. « Certaines personnes atteintes d’IMC ont en effet une image tronquée de la sexualité, complète Véronique Gendry. Elles survalorisent trop souvent la sexualité entre valides. » Une parole pour démystifier, donc. Mais aussi simplement pour informer parce que même si « on dépasse vite les questions techniques, note Véronique Gendry, il faut aussi parfois répondre à telle jeune femme qui pense que la jouissance s’atteint uniquement par la pénétration alors que seules 5 % des femmes parviennent à l’orgasme sans stimulation clitoridienne. » Devenir des sujets désirants Informations d’autant plus importantes qu’elles peuvent apprendre à dire non, non à des rapports non désirés par exemple ce qui, avec une image de soi abîmée, l’habitude que son corps soit médicalisé... n’est pas toujours aisé. Or, il faut retrouver le « sujet désirant » explique Louis-Antoine Alric, psychanalyste à Périgueux (Dordogne) et psychologue dans des foyers limousins Handas de Limoges et Aixe-sur-Vienne qui s’emporte : « Il n’y a pas de besoins sexuels, chez personne ! Il y a des désirs. » Les désirs, un sujet idéal pour les groupes de parole. Mais ils ne peuvent pas tout. Ce ne sont pas des thérapies : ils s’accompagnent souvent d’un suivi individualisé. Mais le travail sur les émotions, l’ici et le maintenant qu’ils permettent font entendre aux participants qu’ils ont de l’importance et cela peut éviter des dépressions. De surcroît, dans un groupe, chacun apporte quelque chose à l’autre : c’est donc très valorisant, bon pour l’image de soi. Au bout du compte, mieux se connaître, mieux s’aimer soi-même, permet de se trouver (voir encadrés). « Ce qui est extraordinaire, pour moi, témoigne Louis-Antoine Alric, c’est de permettre à un sujet d’assumer sa sexualité et de la vivre pleinement même lorsqu’il dépend d’autrui. » Voilà donc ce que permet la mise en mots de ce que, d’habitude, les êtres doués de parole que nous sommes, gardons au creux de notre vie intime, secrète...

(1) Hormis pour le cas de Sandrine (voir encadré), les prénoms ont été modifiés. (2) Équipe spécialisée pour une vie autonome à domicile.


Sandrine, 33 ans : « J’ai gagné en estime de moi »

Six mois de participation à un groupe de parole pour Sandrine, il y a quatre ans. « J’ai gagné en estime de moi. Aujourd’hui, je n’accepterais plus n’importe quoi, ou une violence, d’un partenaire valide. J’ai pris de l’assurance. Je sais imposer mon rythme, les préliminaires… Et aujourd’hui, si mon compagnon est d’accord, j’aimerais avoir un bébé, je suis prête. »


Paul, trentenaire : « Cela m’a permis de vivre ma sexualité »

Paul réside dans un foyer Handas. « C’est petit à petit que je me suis aperçu que j’étais beaucoup attiré par les hommes. J’ai eu du mal à l’accepter, d’autant que je suis catholique, et vais à la messe tous les dimanches. Parler de mon homosexualité n’était pas évident. Mais ça m’a permis de comprendre des choses. Je ne me suis jamais senti jugé par le personnel du foyer. Cela m’a permis de dépasser mes peurs et de vivre ma sexualité. »


Sophie Massieu-Guitoune : journaliste